Il y a en ce moment sur Arte un ensemble d'émissions passionnantes sur le "printemps de Prague".
Hier un document fiction retraçait avec intelligence les quelques mois de 1968 où le peuple tchécoslovaque a secoué le joug communiste et remis en cause la dictature communiste . Le personnage de Jiri Pelikan , alors directeur de la télévision et de la radio tchécoslovaque était abondamment mis en scène . Il fut un acteur essentiel de ce printemps là .
Ma rencontre à Strasbourg
J'ai eu la chance incroyable de le rencontrer en 1985 à Strasbourg . Comme Secrétaire Général du Bureau des Élèves de Sciences Po. j'etais tenu d'organiser des cycles de conférences . Notre professeur chargé de traiter des questions de ce que l'on appelait alors "l'Europe de l'Est", nous proposa son nom...Il faut se rappeler de cette époque pas si lointaine où les occidentaux mélangeaient Bucarest et Budapest et pensaient que Vienne était géographiquement plus à l'ouest que Prague...Jiri Pelikan nous ne connaissions pas....pas plus que le Printemps de Prague voire la Tchécoslovaquie...je me souviens très bien de la manière dont on nous enseignait alors l'affaire de "Munich 1938" sans jamais faire référence à ceux qui avaient été au coeur du problème : les tchécoslovaques! Nous avions abandonné ce pays...effacé de notre mémoire collective...pas très fiers ni les élites politiques d'avant et d'après guerre ni les enseignants communisants français d'alors...
Bref Jiri Pelikan était exilé en Italie où il était devenu député européen du parti socialiste (Il avait connu bettino Craxi alors qu'il était étudiant) . Je l'ai rencontré pour la première fois à l'occasion d'un repas...immédiatement cet homme faisait surgir ce que j'ai toujours , ce que je ressens toujours chez mes nombreux amis tchèques : la nostalgie et la douleur mais aussi la dérision .
Jiri Pelikan devait faire une conférence sur le "Printemps de Prague"...mais il m'a parlé de son pays , de sa situation d'exilé menacé continuellement par les services secrets de l'Est . Il recevait très régulièrement des petits cercueils dans sa boite aux lettres.
La conférence fut incroyable. Il nous tira les larmes des yeux. Je m'en souviens comme si c'était hier ... dans une salle du Palais U...Il nous raconta alors l'incrédulité de Dubcek ( nous découvrions alors tous ces noms...)lorsque on lui annonça que des avions russes de tourisme s'étaient posés à l'aéroport de Prague et que les touristes , tous des hommes , étaient habillés de la même manière . Il s'agissait évidemment de troupes soviétiques!
1999 : la force du destin
Maintenant je veux raconter l'incroyable. En 1999...alors que je fréquentais la République Tchèque depuis 4 ans , j'avais l'envie d'inviter jiri Pelikan à Dole pour donner une conférence dans le cadre de l'Université Ouverte . retrouver sa trace n'était pas si simple . J'ai téléphoné au parlement Européen , puis au parti socialiste italien à Rome...on avait perdu sa trace sauf à me confirmer qu'il vivait bien à Rome. Alors j'ai fait ne chose simple, j'ai pianoté sur le minitel "annuaire international : jiri Pelikan-Rome" et j'ai obtenu son numéro . J'étais fou de joie!!! Annie Bernard, mon assistante d'alors au service culturel était à mes côtés...J'ai appelé , une voix de femme m'a répondu, c'était madame Pelikan . Je lui demandais si je pouvais parler à son époux...et là elle me dit très gentiment qu'au moment où j'appelais son mari était entrain de rendre son dernier soupir. Nous étions le 26 juin 1999...
La République Tchèque...ma passion...
je suis allé plus de 40 fois en République Tchèque (et en Slovaquie) , ce pays est devenu un peu le mien aussi . J'ai donné de nombreuses conférences sur son histoire ( Il faut dire que j'ai eu le privilège en prépa d'avoir comme professeur d'Histoire le fils d'un des conseillers d'André François-Poncet ,notre Ambassadeur à Berlin en 1938... la crise de Munich, andré Frissard nous l'a fait vivre en cours). Je me sens bien en république Tchèque . Ce pays a fait de sa culture sa religion...je me suis engagé dans un improbable article sur "la 1° république tchécoslovaque comme tentative d'une république maçonnique au centre de l'Europe" qui m'a valu un entretien exceptionnel avec le vénérable de la loge Mucha de Prague ...J'aime tout dans ce pays , l'architecture , la gastronomie , la musique , les arts décoratifs...j'aime Prague mais j'aime aussi la province...bref toutes les fois que je suis là bas j'ai une pensée pour Jiri Pelikan...voilà hommage lui est rendu. Ne pas manquer le documentaire au soir du 20 août prochain sur arte
3 commentaires:
Bonjour, C'est plaisant Monsieur Lefevre de lire votre engouement récent comme vous le dites si bien pour ce pays , et l'ignorance des élites sur son histoire.
Néanmoins je tiens a préciser que nous étions quelques français épris de justice sociale et de droits de l'homme qui avons œuvré pour que les droits de l'opposition tchécosloslovaque soient mieux respectés et les voix des emprisonnés
entendus.
A titre personnel j'ai été un courrier clandestin entre ce pays et la France , plusieurs fois je me suis rendu en bohéme et en Slovaquie pour rencontrer des dissidents et ramener leur témoignages à Paris à Svedectvy
auprès de Pavel TIGRID.
Les risques encourus étaient réels, malgré tout je l'ai fait pendant plusieurs années.
Voilà je voulais que mon témoignage soit connu.
ce message me touche beaucoup...il est sans signature donc je ne puis l'attribuer quel dommage. J'aimerai tant débattre avec son auteur.
JP Lefèvre
Par hasard, je suis tombée sur cet article, et j’en ai les larmes aux yeux.
J’étais son amie, pendant les dernières 10 années de sa vie. Il avait 38 ans de plus que moi, mais cela ne jouait aucun rôle. Cet homme m’a marquée pour la vie, et je comprends très bien votre admiration pour lui.
La dernière année, il ne voulait plus me voir, ne voulait pas que je sois témoin de sa maladie. En ce 26 juin 1999, j’étais dans un restaurant avec ma sœur qui s’apprêtait à déménager dans une ville lointaine.
A la sortie, dans la voiture, nous avons allumé la radio. « Le célèbre homme politique et auteur tchèque Jiri Pelikan vient de décéder à Rome », annonçait-on. Je ne me souviens plus comment je suis sortie de la voiture pour passer le volant à ma sœur …
… et je ne suis jamais allée à Prague, je ne peux pas, je sais que cela me ferait trop mal.
La prochaine fois que vous serez sur la terre natale de Jirka, comme l’appelaient ses amis, passez-lui mon bonjour.
Merci.
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